• Rob Gravity et les 100 000 martyres

     

    Rob Gravity arriva face à la colline des oubliés. L'endroit était un désordre indescriptible, silencieux mais résonnant de dix mille tourments. De hauts arbres noirs montaient jusqu'au ciel, des arbres aux troncs larges et imposants qui se divisaient en branches tordues sur lesquelles les corps blancs de croyants s'étiraient lascivement. Le sol aussi était jonché de corps, certains morts, d'autres vivants, des corps que foulaient les chevaux et les soldats de l'empire. Ceux-ci discutaient entre eux tranquillement, comme si la chair était de l'herbe et le sang de l'eau. Ils semblaient ne pas voir les masques d'agonie et de souffrance qui s'affichaient tout autour d'eux. Rob Gravity s'approcha d'un des martyres, et lui demanda la raison de leur supplice, sans pouvoir obtenir la moindre réponse. L'autre se contentait de grimacer, de geindre et de râler. Il tenta un second jeune homme, sans obtenir d'autre réaction.

    Branches en désordre des hommes indescriptibles, les morts, juste les morts, dont les souffrances divisent les sens, la raison, jusqu'au plus grand des tourments. Les croyants ne sont plus que corps, tout est noir dans la souffrance tordue et lascive. L'endroit semblait demander de s'afficher en masque de mort. Les bras se tordaient, musculeux, les hanches sortaient. Certains chevauchaient des branches comme des étalons, le regard vide, d'autres les yeux vers le ciel ne voyaient pas les jeunes femmes aux seins nus qui dansaient à leurs pieds. Le ciel était rouge et tourbillonnant, chargé de nuages noirs, strié d'éclairs qui tailladaient sa surface comme des couteaux. Dans l'herbe certaines pucelles, un sourire en coin, s'étant trouvé quelques victimes indolentes, tenaient une flute dans chaque main. D'autres dévoilaient leurs charmes entre les plis diaphanes de leurs robes de riches étoles, heureuses de se donner en spectacle à des êtres de spectacle. Les soldats ne les ignoraient guère, et certains d'entre eux, la main sur l'épée, semblaient sur le point de se jeter sur les innocentes créatures.

    Un coup fut porté, une jeune femme tomba au sol, le dos traversé d'une déchirure rouge. Le fantassin au visage de singe s'approcha avec son sourire tordu, déboutonnant déjà sa braguette. Il est admis que les innocents ont une représentation pure de la création... Il est aussi admis que les singes ne forniquent pas avec les saintes, qu'ils ne doivent pas pétrir leurs chairs, qu'ils ne doivent pas souiller leur jardin. Et pourtant... Cette conception eut lieu, au milieu même du panorama aux martyres, sans que personne n'intervienne. La cohorte s'en rappela longtemps, certains, le soir, murmurant des choses comme « en ces années fantaisistes, tout était permis... personne vous jugeait si vous vouliez tirer votre coup... ah, l'armée, ça rend fertile! » Et ils se souvinrent aussi longtemps des anges et des vierges qui, sur une autre colline plus lointaine, dansaient une sarabande de mort dans laquelle le moindre faux-pas coutait la vie, prise d'un coup de griffe d'aile qui rapidement déchirait l'abdomen et laissait tomber les tripes sur le sol en paquets. Les femmes et les damoiseaux ailés dansèrent des jours et des jours, jusqu'à ce que le sol soit une bouillie d'entrailles piétinées et qu'il ne reste plus une vierge pour entrer dans la ronde.


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